Emmanuel Gavillet: «Dans mes images, l’essentiel est invisible»

8 juin 2015
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Emmanuel Gavillet: «Dans mes images, l’essentiel est invisible»

islande1Avant de partir en expédition cet été dans le nord du Spitzberg, le Gruérien Emmanuel Gavillet expose à Matran ses photographies récentes d’Israël et d’Islande, deux régions aux «confins émotionnels de notre monde».

par Christophe Dutoit

D’abord, ses noirs. Profonds, épais comme du charbon écrasé sur le papier, mais vivants comme les monochromes de Pierre Soulages. Puis ses gris, rares et arides dégradés de lumière dans le désert du Néguev ou les plaines inhabitées de Snaefellsjökull. Enfin, en contrepoint, ses éclats de blancs, scories d’une pureté évanescente, dernières neiges avant la fonte ou étendues infinies de sables éblouissants…

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Depuis bientôt vingt-cinq ans, les photographies d’Emmanuel Gavillet magnifient cette esthétique du noir et blanc considérée aujourd’hui comme si nostalgique, si mélancolique. Or, il n’en est rien. Ses derniers travaux, exposés à Matran jusqu’au 28 juin, auscultent de manière bien plus abyssale les tréfonds de l’humain. Ou plutôt des dernières Traces d’éléments humains dans l’architecture abandonnée, ainsi que se nommait déjà son travail de diplôme à sa sortie de l’Ecole d’arts appliqués de Vevey en 1990.

Absence centrale
«J’ai pris conscience de cette filiation lorsque j’installais mes tirages ces derniers jours. J’ai toujours été attiré par la manière dont certaines matières sont restituées par la photographie.» Pour s’en convaincre, il suffit d’observer son Hommage au dernier agriculteur, pris lors d’un voyage en Islande en 2013. Certes, on y voit une bâtisse en ruine, battue par les quatre vents et lacérée par l’affront du temps. Sur sa façade décrépite, l’œil déambule dans les tons sur tons, vagabonde entre les dégradés. L’absence y est centrale, dernier stigmate d’une vie passée, d’une histoire qui n’a jamais été écrite et dont subsistent, pour un temps encore, les ultimes lambeaux.

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Des lambeaux, il en est également question dans ses images du Golan, prises quelques mois plus tôt. Invité en Israël pour tourner des images vidéo en vue d’un documentaire, Emmanuel Gavillet profite de temps instables pour photographier certaines positions désaffectées. «Avec mon ami sur place, nous étions à dix mètres de la frontière syrienne. Pendant que je mettais en place ma chambre 20 x 25 cm, il ne cessait de bouger. “L’objectif de ton appareil ressemble au viseur d’un lance-roquettes, me dit-il. Derrière ton trépied, tu es condamné si un sniper tire depuis la zone franche. Tant que je me déplace, je suis une cible beaucoup plus difficile à toucher!”» Sans rire. Autant dire que le photographe de 47 ans n’a jamais fait aussi vite pour exposer ses films grand format. «On entendait les tirs de mortier à quelques kilomètres. C’était quand même très tendu, mais je crois que le risque était finalement assez faible.» Là, il sourit.

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Les figuiers prophétiques
En quelques jours, Emmanuel Gavillet photographie des intérieurs d’anciennes mosquées, des bunkers graffités et des figuiers sauvages qui repoussent tant bien que mal dans des interstices de béton, ces figuiers prophétiques de la renaissance d’Israël.

Ces photographies-là sont beaucoup plus intériorisées. Je voulais observer ce qui se passe avant la bascule, au moment du passage de la vie à la mort.

En deux icônes, le photographe installé à Villarvolard rompt avec la belle image de paysage qu’il a longtemps pratiquée, notamment dans les Gastlosen. «Ces photographies-là sont beaucoup plus intériorisées. Je voulais observer ce qui se passe avant la bascule, au moment du passage de la vie à la mort. J’ai l’impression que l’essentiel est invisible dans mes images.» Du coup, on découvre les 36 tirages exposés à la Galerie de la Fontaine aux petits cochons sous un autre angle, plus transcendantal, plus spirituel.

Quand il parle de son acte photographique, avec ses images ultradétaillées et sa chambre encombrante, il évoque cette «même torture» devant les Collines du Golan et le lac de Tibériade que face aux poussières volcaniques de l’Eyjafjallajökull après sa terrible irruption. «J’aime cette notion de limite de la terre, de déchirure. En Islande ou en Israël, je me suis approché de cette idée presque biblique. D’ailleurs, les rares personnes que l’on a vues dans ces ruines du Golan venaient en pèlerinage, prier pour leurs proches qui y ont trouvé la mort.»

Matran, Galerie de la Fontaine aux petits cochons, jusqu’au 28 juin, ve 17 h-20 h, sa-di 13 h-19 h. www.pourquoi-pas.ch

Soleil de minuit au Spitzberg

A partir de la mi-juillet, le photographe Emmanuel Gavillet et le sculpteur Daniel Rohrbasser se rendront au-delà du cercle polaire arctique pour une nouvelle expérience artistique et humaine. Ils embarqueront à bord du Knut fraîchement baptisé,

le nouveau voilier de l’association MaréMotrice emmené par les Gruériens Mélina Repond, Benjamin Ruffieux et Sébastien Volery. «Nous allons passer cinq semaines avec les ours», sourit le Gruérien, qui a récemment dû s’acquitter d’un fusil à gros calibre et d’un entraînement intensif à son utilisation. «Mais le but est de ne pas s’en servir…» Une chose est certaine: on n’organise pas ce genre d’expédition comme de simples vacances. «Sur place, nous aurons un téléphone cellulaire et nous serons en complète autonomie avec le bateau, qui nous servira de camp de base.»

Sous le soleil de minuit – ou le jour polaire, c’est selon – les deux artistes tourneront un documentaire sur leur travail, «surtout pour montrer la fragilité de cet endroit», un film qu’ils comptent projeter aux écoles et dans des festivals. Tout en poursuivant chacun leur travail personnel, qu’ils pensent exposer dans la foulée.

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