Les «célébrités bolziques» de Xavier Cuony

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Le 11 février 1915 mourait le médecin fribourgeois Xavier Cuony. «Physicien de ville» et photographe amateur, il tira le portrait de ses patients les plus démunis, ses «célébrités bolziques», dont les images sont aujourd’hui conservées à la BCU de Fribourg.

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par Christophe Dutoit

«C’était un cachet pittoresque de notre ville que ces simples ou ces originaux dont on riait sans grande malice, que souvent on faisait marcher, mais qu’on plaignait sincèrement au fond et, surtout, qu’on aimait et qu’on secourait quand ils en avaient besoin, à cause même de leur célébrité!» Au lendemain du décès de Xavier Cuony le 11 février 1915 – il y a cent ans – son neveu Auguste Schorderet livre dans les Annales fribourgeoises quelques détails sur les «célébrités bolziques» que le médecin et photographe amateur avait saisies: «Il y eut jadis Franz des Cannes, Finno, Hirsing l’émouleur et Waldvogel, le petit ramoneur aux images, dont la légende est immortalisée par Alexandre Daguet.»

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Dans un inventaire à la Prévert, il égrène les noms de ces marginaux, «ces générations de lazzaroni fribourgeois qui se succédèrent sur le banc circulaire du Tilleul», leur place réservée par une «garnison redoutable»: «On connut également Peter Putscher, montreur d’une lanterne magique où se voyait “le cheval blanc” tour à tour du baron d’Alt ou de Napoléon. Bionda, l’aveugle ménétrier, et son ami Cagno, Gross le chaudronnier garde-stable à Saint-Nicolas. Puis la célèbre Mayossé, la mère aux chats et le poète Wuilleret. Et Marie Féguise qui chantait si bien, mais incapable de passer un ruisseau à pieds secs, Sitzemann le violoneux, Gobe-la-Lune le poissonnier du Vully, Justine et son poulet apprivoisé, et tant d’autres dont le nom se perd dans la nuit des temps.»alcu31

Pouta du manège et la suave Doura
Auguste Schorderet enchaîne dans son français si châtié: «Lollé l’innocent chiffonnier, qui parcourait les rues, son parapluie toujours ouvert, chantant à tue-tête des refrains toujours sans suite, Tonté aux grands yeux rouges, la belle Ratafux aux cheveux d’or, Buntschu l’organiste, Baeriswyl dit Pouta du manège, la suave Doura, à qui les gamins sans pitié faisaient maintes farces et de folles colères. Rossier le messager des amoureux, le bon Rodolphe à la contrebasse, cet ineffable Rothengarten qui accompagna avec les trois cordes de son instrument des générations de clarinettistes, de flûtistes ou de trompettes dans la plupart de nos pintes. François Thossi, ce pauvre chimiste, marchand d’encre, de cirage et de drogue pour détruire cafards, rats, souris et insectes nuisibles, ce pauvre philosophe qui se disait “empereur des encres” et que la malice enfantine avait baptisé Kakernase à cause du volume de son appendice nasal… Que d’originales physionomies disparues, qui donnaient une teinte particulière à notre cité et dont le souvenir se perdrait complètement pour nous si, de temps à autre, nous n’entendions le grand jeu des orgues éclater au bord d’une fontaine pour l’ébahissement de quelques gamins!»

Durant la guerre franco-allemande de 1870, Xavier Cuony consacre son temps et ses soins aux malades et aux blessés des ambulances allemandes.

En 1915, ces figures d’un autre temps marquaient encore les mémoires. Un siècle plus tard, elles seraient définitivement oubliées si la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg n’avait pas conservé seize portraits de la main de Xavier Cuony, qui côtoya ces excentriques dans son cabinet.alcu38

Né le 3 décembre 1841, le fils de Jean-Augustin Cuony, notaire et syndic de Fribourg, suit ses écoles à Einsiedeln, Würzburg, Prague et enfin Fribourg-en-Brisgau, où il exerce notamment à la clinique ophtalmique. Durant la guerre franco-allemande de 1870, «il consacra son temps et ses soins aux malades et aux blessés des ambulances allemandes», apprend-on dans la nécrologie que lui consacre La Liberté.

Père des pauvres et esclave de son devoir
De retour dans sa ville natale une année plus tard, Xavier Cuony pratique la médecine. De 1873 à 1901, il officie surtout comme «physicien de ville», une archaïque dénomination pour désigner la mission de soigner les plus pauvres hères de la commune. «Il multiplia les visites dans les quartiers excentriques pour porter les secours de son art aux indigents dont aucune détresse imméritée ne le laissait insensible», lit-on dans les Nouvelles étrennes fribourgeoises 1915-1916.alcu34

Son aspect austère, presque ascétique, ne laissait guère soupçonner son âme tendre, d’une sensibilité très vive, qui, au récit d’une infortune ou à l’éveil d’un souvenir, s’émouvait aisément jusqu’aux larmes.

En 1893 déjà, le médecin publia un article dérangeant sur La mortalité infantile dans la ville de Fribourg, «où il dénonçait la misère et les conditions d’hygiène catastrophiques dans lesquelles était plongée une partie de la population, en particulier les bas quartiers», écrit Alain Bosson dans le livre Fribourg, une ville aux XIXe et XXe siècles.alcu39

«Père des pauvres» pour le quartier de la Planche, Xavier Cuony laissa «le souvenir d’un grand travailleur, d’un médecin dévoué à ses malades, d’un esclave de son devoir et d’un citoyen vivement soucieux des intérêts de Fribourg. Son aspect austère, presque ascétique, ne laissait guère soupçonner son âme tendre, d’une sensibilité très vive, qui, au récit d’une infortune ou à l’éveil d’un souvenir, s’émouvait aisément jusqu’aux larmes.» Et, grâce à son affection pour la photographie, ces «célébrités bolziques» ne sont pas tombées dans un oubli certain.

Les images de Xavier Cuony sont à voir sur le site de la BCU, à l’adresse www.fr.ch/bcuf

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